En religion le père Henri-Dominique Lacordaire, né le
12 mai 1802à Recey-sur-Ource (Côte-d'Or),
mort le
21 novembre
1861à Soréze (Tarn),
est un religieux, prédicateur, journaliste et homme politique
français.
Restaurateur en France de l'Ordre
des Prêcheurs (dominicains), il est
considéré aujourd'hui comme l'un des précurseurs du catholicisme moderne.
Fils d'un ancien médecin de la marine française,
Henri Lacordaire fut élevé à
Dijon par sa mère, Anne Dugied, fille
d'un avocat au parlement de Bourgogne, précocement veuve - son mari
décède en 1806. Il avait trois frères, dont l'un fut l'entomologiste
Théodore Lacordaire. Bien qu'élevé dans
la foi catholique, il s'en éloigna pendant ses études au lycée de Dijon.
Il étudia ensuite le droit, se destinant à la carrière d'avocat, et se
signala par ses qualités d'orateur au sein de la Société d'études de
Dijon, un cercle politique et littéraire réunissant la jeunesse
royaliste de la ville, où il découvrit les théories ultramontaines de
Bonald, de Maistre, Félicité de Lamennais.
Sous leur
influence, Lacordaire renonça peu à peu aux idées des
encyclopédistes et au rousseauisme, conservant cependant un
amour profond et sincère de la liberté et des idéaux révolutionnaires de
1789.
En 1822, il partit pour Paris afin d'effectuer
son stage d'avocat. Grâce à l'appui du président Riambourg, un ami de sa
famille, il entra chez M. Mourre,
procureur général. Bien que trop jeune
selon la loi pour plaider, il passa outre, et plaida avec succès à plusieurs reprises en
cour d'assises, suscitant l'intérêt du
grand avocat libéral Berryer. |
|
Cependant, malgré les perspectives d'une carrière
brillante, il s'ennuyait et se sentait isolé à Paris, dont les
distractions ne le séduisaient guère. À l'issue d'une longue période de
doutes et d'interrogations, il se convertit au printemps 1824, et décida
aussitôt d'être prêtre.
Grâce au soutien de
Monseigneur de Quélen, l'archevêque
de Paris, qui lui accorda une bourse, et malgré les fortes
réticences de sa mère et de ses amis, il entra le 12 mai 1824 au séminaire Saint-Sulpice,à
Issy, puis, à partir de 1826, à Paris,
où l'enseignement, d'une qualité généralement médiocre, ne convenait
guère à sa formation antérieure, à son caractère et à ses idées
libérales. Il écrivit même plus tard que : « Ceux qui se souviennent de
m'avoir observé au séminaire, savent qu'ils ont eu plusieurs fois la
tentation de me prendre pour un fou. »
Son expérience de séminariste
inspira
Sainte-Beuve, pour son roman Volupté.
À Saint-Sulpice, il se lia avec le duc de Rohan-Chabot, futur cardinal-archevêque de Besançon, qui
lui conseilla d'entrer dans la
Compagnie de Jésus. Finalement, grâce à
son insistance, et après de longues hésitations de ses supérieurs,
il fut ordonné prêtre le
22 septembre
1827 par Monseigneur de Quélen. Celui-ci, après avoir songé à le nommer à la Madeleine ouà
Saint-Sulpice, lui confia finalement la
modeste tâche de chapelain d'un couvent de visitandines, et, l'année suivante, la
charge de second aumônier du
lycée Henri-IV. Cette expérience
confirma à ses yeux l'inéluctable déchristianisation de la jeunesse
française confiée à l'enseignement public, dont lui-même avait fait
partie.En janvier 1834, sur la
proposition du jeune
Frédéric Ozanam, le fondateur de
l'œuvre charitable de la
Société de Saint Vincent de Paul, qu'il
connaissait depuis peu, l'abbé Lacordaire commença une série de
conférences au
collège Stanislas, qui rencontrèrent un
très grand succès, au-delà même des étudiants. Mais l'omniprésence dans
ces discours du thème de la liberté, qu'on soupçonna de pervertir la
jeunesse, déclencha des critiques. Les conférences furent donc
suspendues. |
|
Cependant,
Monseigneur de Quélen, l'archevêque de
Paris, affirma son soutien à Lacordaire, et lui demanda de prêcher en
1835 pour le
Carême à la
cathédrale Notre-Dame de Paris, dans le
cadre des Conférences de Notre-Dame, spécialement destinées à
l'initiation de la jeunesse au christianisme, elles aussi fondées à la
demande d'Ozanam. La première conférence de Lacordaire eut lieu le 8
mars 1835. En raison du succès immédiat rencontré par ses prédications,
il poursuivit l'expérience l'année suivante. De fait, les Conférences
de Notre-Dame de Lacordaire, où celui-ci mêlait avec exaltation
religion, philosophie, poésie, représentaient un renouvellement original
de l'éloquence sacrée traditionnelle.
Mais en 1836, face tant au succès considérable qu'aux
attaques violentes dont il était l'objet, notamment sur ses faiblesses
théologiques, et après le décès de sa
mère, Lacordaire, conscient de la nécessité pour lui d'acquérir des
connaissances plus solides, ainsi que des soutiens plus fermes, se
retira à Rome, où il étudia alors chez les
jésuites. Il y publia sa Lettre sur
le Saint-Siège, où il réaffirmait avec force ses positions
ultramontaines, insistant sur la primauté du pape, pontife romain,
« dépositaire un et permanent, […] organe suprême de la parole
évangélique et source inviolable de la communion universelle » sur les
évêques. Ce texte le brouilla avec Monseigneur de Quélen, gallican
sincère.
En 1837, conforté par l'exemple
de
dom Guéranger et de la
restauration des bénédictins, Lacordaire
surmonta ses réticences initiales, la peur d'aliéner sa
liberté sous la règle d'un ordre religieux, et résolut
d'entrer chez les dominicains, dont il
décida de rétablir l'ordre en France. En effet, l'Ordre
des Prêcheurs, créé en 1215 par
Dominique de Guzmán,
avait été supprimé en France en 1790. Henri Lacordaire
choisit cet ordre médiéval en raison de la vocation de
l'ordre dominicain, qui est d'enseigner et de prêcher,
afin de renouveler de l'intérieur et de rechristianiser
la société de son temps. La souplesse des constitutions
de l'Ordre, son organisation interne démocratique
et élective, sa « flexibilité
incroyable »[1],
l'avaient également séduit.
Enfin,
pour lui, l'appartenance à un tel
ordre offrait une grande liberté à
l'égard de l'épiscopat français, de
ses querelles et prises de positions
politiques.
Dans cette
entreprise de restauration,
Lacordaire fut soutenu par le pape
Grégoire XVI,
et par le maître général des
dominicains, le père Ancarani, qui
lui offrit l'usage du couvent romain
de Sainte-Sabine,
pour établir le premier noviciat des dominicains français. En
septembre 1838, Lacordaire retourna
en France, afin de trouver des
candidats au noviciat, et des
soutiens dans sa démarche. Il passa
à cet effet une annonce dans le
journal
l'Univers,
et, dans son Mémoire pour le
rétablissement en France des Frères
Prêcheurs (1839), largement
diffusé, en appela avec éloquence,
et d'une manière extrêmement
moderne, à l'opinion
publique, au peuple
français, et à son respect des
droits de
l'homme, pour soutenir la liberté
religieuse et la
liberté
d'association.
Le mémoire commençait ainsi
« Mon pays,
Pendant que vous poursuivez avec joie et douleur la
formation de la société moderne, un de vos enfants
nouveaux, chrétien par la foi, prêtre par l'onction
traditionnelle de l'Église catholique, vient
réclamer de vous sa part dans les libertés que vous
avez conquises, et que lui-même a payées […] Je
m'adresse à une autorité qui est la reine du monde,
qui de temps immémorial, a proscrit les lois, en a
fait d'autres, de qui les chartes elles-mêmes
dépendent, et dont les arrêts, méconnus un jour,
finissent tôt ou tard par s'exécuter. C'est à
l'opinion publique que je demande protection et je
la demande contre elle-même, s'il en est besoin. »
pour démontrer l'inutilité de la
législation anti-religieuse mise en place par les
révolutionnaires français, Lacordaire y soulignait les
évolutions de la vie religieuse, montrant qu'au
XIXe siècle, il était
désormais inconcevable d'entrer dans les ordres sous la
contrainte, contrairement aux pratiques qui avaient eu
cours avant la
Révolution française.
D'autre part, selon lui, les vœux religieux ne
s'opposaient pas aux principes fondateurs de la
Révolution : d'abord, le vœu d'obéissance n'était que la
plus haute expression de la liberté, en tant qu'il
s'agissait de l'obéissance consentie à des supérieurs
librement élus, dont les décisions étaient strictement
bornées par les statuts de l'Ordre, évitant ainsi tout
abus de pouvoir. Quant au vœu de pauvreté, il rejoignait
selon lui les idéaux révolutionnaires d'égalité
et de fraternité.
Le 9 avril 1839, Henri Lacordaire
prit l'habit dominicain au couvent de la Minerve, à Rome, et
reçut alors le nom de Dominique. Un an plus tard, le 12 avril 1840, après une année
de noviciat à La Quercia, près de Viterbe, durant
laquelle il écrivit sa Vie de saint Dominique, il
prononça ses vœux à la Minerve. Il poursuivit ensuite
ses études de théologie à
Sainte-Sabine, où son
portrait fut peint par
Théodore Chassériau,
portrait parfois considéré comme l'un des chefs-d'œuvre
de son auteur. À propos de cette œuvre, Lacordaire
écrivit alors à Madame Swetchine que : « M. Chassériau,
jeune peintre de talent, m'a demandé avec instance de
faire mon portrait. Il m'a peint en dominicain, sous le
cloître de Sainte-Sabine ; on est généralement satisfait
de cette peinture, quoiqu'elle me donne un aspect un peu
austère. »[2]
En 1841, il retourna en France,
portant l'habit dominicain, théoriquement illégal selon
les lois révolutionnaires, et, le 14 février 1841,
prêcha avec succès à Notre-Dame.
Continuant ses prédications à Paris, et à travers toute la
France, Lacordaire entreprit la fondation de plusieurs
couvents : la première maison de la restauration de
l'Ordre en France fut établie à
Nancy en 1843, suivie
du noviciat à
Chalais en 1844, et, en
1849, d'une maison à Paris, dans l'ancien couvent des Carmes. À cette époque,
Lacordaire exerça également une influence importante sur Jean-Charles Prince et Joseph-Sabin Raymond,
deux religieux canadiens qui sont à l'origine de
l'arrivée des dominicains au Canada.
En 1850, la province dominicaine
de France fut officiellement rétablie, sous la direction
du Père Henri-Dominique Lacordaire, élu supérieur
provincial. Il se heurta rapidement au père Alexandre Vincent Jandel,
l'un de ses premiers compagnons. En effet, en 1850,
Alexandre Jandel fut nommé vicaire général de l'Ordre
par le pape Pie IX, admiratif du
dynamisme et de la rigueur des dominicains français.
Jandel était favorable à une interprétation sévère des
constitutions dominicaines médiévales et s'opposa à la
vision plus libérale de Lacordaire. Le conflit éclata en
1852, à propos de l'horaire des matines, l'office de
nuit, dans les couvents, et d'une manière générale, sur
le confort et les dispenses à accorder aux frères. En
effet, selon Lacordaire, qui s'appliquait par ailleurs à
lui-même une discipline extrêmement sévère, la vie
monastique devait être subordonnée au devoir de
prédication et d'enseignement, et ne devait pas
contraindre la liberté des frères dominicains. En 1855,
le pape affirma publiquement son soutien à Jandel en le nommant
maître général de
l'ordre dominicain, tandis que Lacordaire, retiré alors
de l'administration de la province de France, fut réélu
à sa tête en 1858
La fin de la vie du père
Lacordaire fut assombrie par ces controverses, et par
les déceptions de la vie politique. En effet, depuis
longtemps hostile à la monarchie de Juillet,
il soutint avec enthousiasme la
révolution française de 1848,
se rallia au régime républicain, et
lança avec
Frédéric Ozanam et l'abbé
Maret un nouveau journal,
l'Ère nouvelle,
dont les objectifs étaient « de rassurer les catholiques
et de les aider à l'acceptation du régime nouveau […],
d'obtenir pour l'Église des libertés nécessaires qui lui
étaient obstinément refusées depuis cinquante ans, enfin
un acheminement à une meilleure distribution des
éléments sociaux, en arrachant à une classe trop
prépondérante la domination exclusive des intérêts, des
idées et des mœurs. »[3].
Ce programme mêlait le
catholicisme libéral traditionnel (défense de la liberté de conscience et
d'enseignement), et le catholicisme social défendu par Frédéric Ozanam.
Après une campagne électorale
tumultueuse, Lacordaire fut élu député de l'Assemblée
nationale constituante par l'électorat de Marseille. Favorable à
la République, il siégea à l'extrême gauche de
l'Assemblée, mais démissionna très vite - le 17 mai 1848 - suite aux
émeutes ouvrières, à l'invasion de l'Assemblée nationale
par les manifestants, le 15 mai, et à la répression qui
suivit. Il expliqua ainsi son comportement :
« J'estimai dans la révolution
de 1848 un acte de haute
justice. […] Je pensai que
l'essai de la forme républicaine
était possible en France dans
des conditions meilleures qu'en
1792. J'acceptai sincèrement cet
essai. […] Ce fut dans cette
même pensée que j'entrai à
l'Assemblée nationale, et que je
m'assis à l'extrême gauche,
afin de
donner immédiatement un signe de mon
adhésion au genre de gouvernement
que la force des choses venait
d'imposer à la France. […] Le 15 mai
ébranla jusqu'au fond mes
espérances. Il m'a révélé des
projets et des passions qui devaient
infailliblement aboutir à la guerre
civile, à une lutte profonde,
inévitable, acharnée, où l'extrême
gauche jouerait un rôle dont je ne
voulais pour rien au monde prendre
la responsabilité. […] Les partis
monarchiques relevaient la tête ; je
ne voulais pas les servir, je ne le
pouvais pas sans compromettre la
religion. J'aimai mieux me
retirer. »[4]
Déçu par le
régime républicain,
et en désaccord avec
les options de plus
en plus sociales
choisies par l'Ère Nouvelle,
il quitta la
direction du journal
le 2 septembre, tout
en continuant à le
soutenir.
Lacordaire se montra
plutôt favorable à
la
révolution italienne
de 1848,
au prix même de
l'invasion des États pontificaux,
(« Nous ne devons
point trop nous
alarmer de la chute
possible de Pie IX »[5],
écrit-il alors à
Montalembert). Il
montra peu
d'enthousiasme à
l'égard de la loi Falloux,
votée le
15 mars
1850,
œuvre de son
ami
Montalembert,
qui établissait la
liberté de
l'enseignement secondaire, qu'il jugeait
insuffisante, et
qui avait été
soutenue par
l'évêque d'Orléans,
Félix Dupanloup,
à qui l'opposait une
longue inimitié.
Opposé à
l'élection de
Louis-Napoléon
Bonaparte, Lacordaire
condamna sans réserve le
coup d'État du
2 décembre 1851, qui lui
semblait une atteinte insupportable
à la liberté, et à toutes les
valeurs qu'il défendait, au nom de
l'ordre. Il choisit alors de se
retirer de la vie publique, comme il
l'expliqua en 1861 :
« Je compris
que dans ma pensée, dans mon
langage, dans mon passé, dans ce
qu'il me restait d'avenir, j'étais
aussi une liberté et que mon heure
était venue de disparaître avec les
autres. Beaucoup de catholiques
suivirent une autre ligne et, se
séparant de tout ce qu'ils avaient
dit et fait, se jetèrent avec ardeur
au-devant du pouvoir absolu. Ce
schisme que je ne veux point appeler
ici une apostasie a toujours été
pour moi un grand mystère et une
grande douleur. »[6]
Il se consacra
jusqu'à sa mort à
l'éducation de la
jeunesse, dans le
cadre nouveau offert
par la loi Falloux,
acceptant en juillet
1852 la direction
d'un collègeà
Oullins,
près de Lyon,
puis celle de
l'école de
Soréze,
dans le Tarn en
1854.
Enfin, le
2 février 1860, il
fut élu par 21 voix
membre de l'Académie
française,
au fauteuil 18, en
remplacement du
comte Alexis de
Tocqueville,
dont il prononça
l'éloge. Encouragé
par les opposants au
régime impérial,
parrainé par
Montalembert et
Berryer, reçu par Guizot,
il accepta alors de
ne pas évoquer la politique italienne controversée de
Napoléon III.
La réception de
Lacordaire à
l'Académie fut un
véritable événement
politique et
mondain.
Il se consacra
jusqu'à sa mort à l'éducation de la
jeunesse, dans le cadre nouveau offert
par la loi Falloux, acceptant en juillet
1852 la direction d'un collègeà
Oullins,
près de Lyon,
puis celle de l'école de
Soréze,
dans le Tarn en
1854.
Enfin, le
2 février 1860,
il fut élu par 21 voix membre de l'Académie
française, au fauteuil 18, en
remplacement du comte Alexis de
Tocqueville, dont il prononça
l'éloge. Encouragé par les opposants au
régime impérial, parrainé par
Montalembert et Berryer, reçu par Guizot,
il accepta alors de ne pas évoquer la politique
italienne controversée de
Napoléon III.
La réception de Lacordaire à l'Académie
fut un véritable événement politique et
mondain.
Malgré
les opinions politiques du nouvel académicien,
elle eut lieu en la présence de l'impératrice
Eugénie et de la princesse Mathilde. Lacordaire ne
siégea qu'une fois à l'Académie, et mourut le
21 novembre
1861 à Soréze, où il fut inhumé.
Au
XIXe siècle,
Lacordaire fut surtout apprécié de ses contemporains
pour ses qualités de prédicateur. En effet, à travers
ses conférences à Stanislas puis à Notre-Dame de Paris
et à Toulouse, ses éloges funèbres de
Daniel O'Connell ou du général Drouot, il se
livra à un profond renouvellement du genre sclérosé de
l'éloquence sacrée, dans la lignée du romantisme catholique
de Chateaubriand ou de Lamennais.
Dans les Conférences, le but d'Henri Lacordaire était
avant tout de faire une apologie du christianisme, « une
apparition de la vérité dans les âmes tourmentées », et
pas un exposé
théologique abstrait. À
propos des Conférences de Notre-Dame, il déclara ainsi :
« Il me sembla qu'il ne fallait partir ni de la
métaphysique, ni de l'histoire, mais prendre pied sur le sol même de la
réalité vivante et y chercher les traces de Dieu. »[7] Pour démontrer la crédibilité des doctrines catholiques, Lacordaire
avait donc recours à de nombreuses références extérieures au dogme, tirées de l'histoire, de la
psychologie, de la philosophie, de la poésie et la littérature,
reprenant ainsi les références idéologiques et intellectuelles de son
auditoire, la jeunesse catholique romantique.
En outre, il prononçait ses
discours avec expressivité et un enthousiasme
communicatif (voire avec exaltation), insistant sur les
notions qui le passionnaient ainsi que son public,
celles de liberté, de patriotisme, de don de
soi et de sens du sacrifice. À la
lecture, le style d'Henri Lacordaire, destiné à une
expression orale dans un contexte bien particulier peut
donc aujourd'hui sembler confus, plein d'emphase, et le
contenu manquer de fond théologique. C'est pourquoi,
plus que ses qualités d'orateur, ce sont ses intuitions
sur la compatibilité entre catholicisme, libéralisme et
démocratie, qui rendent cet homme et son parcours
intellectuel et politique particulièrement remarquables.
Selon son ami
l'abbé
Henri Perreyve,
« passionné de la justice, de la
liberté, du progrès des hommes et ne
séparant pas de ces grandes causes la
cause de Dieu et de son Église »[8],
Henri Lacordaire ne dissociait pas une
foi catholique profonde et la croyance
dans le progrès et la liberté humaine
(selon lui,« c’est l’Évangile qui a fondé la liberté dans le monde,
qui a déclaré les hommes égaux devant
Dieu, qui a prêché les idées et les
œuvres de fraternité. »). Cet amour de
la liberté
antérieur chez lui à sa foi
catholique, allait de pair avec une grande tendresse
pour les hommes de son temps, du
XIXe siècle :
proclamant « la nécessité d'estimer son siècle »[9],
il se distinguait donc de nombreux auteurs catholiques
romantiques qui le rejetaient pour exalter avec
nostalgie un passé mythique.
Issu de la bourgeoisie
révolutionnaire (fils d'un médecin militaire, petit-fils
d'un avocat), il en partageait en effet de nombreux
idéaux, et notamment la foi dans la modernité et le
progrès, ainsi qu'une
vision globalement positive de la geste révolutionnaire.
Contrairement aux notables de son siècle, Henri
Lacordaire considérait, sous certaines conditions et
tout en réprouvant la violence physique, que de
l'insurrection populaire pouvait sortir l'amélioration
de la condition humaine. Face au comte de Montalembert,
aristocrate libéral, son ami, Lacordaire, sans être pour
autant républicain de conviction, montrait des idées
politiques avancées, très choquantes pour la grande
bourgeoisie catholique française qu'il côtoyait.
Ces convictions expliquent pour
une large part son attitude controversée pendant la
révolution de 1848.
Elle provoqua, de manière temporaire, l'incompréhension
et le rejet de Lacordaire par ses amis les plus proches
eux-mêmes (Montalembert, Madame Swetchine), et
l'embarras de la plupart de ses biographes jusqu'au
milieu du
XXe siècle.
Face à cette réprobation générale, il affirma alors
« croire que l'avènement de la société moderne était
voulu de Dieu » et justifia les aspirations
démocratiques de ses
contemporains : « Quel danger y a-t-il à ce que quelques
catholiques penchent un peu vivement vers la forme
démocratique ? Qui sait si ce n'est pas là l'avenir de
l'Europe ? »[10]
Paradoxalement, la réputation
sulfureuse d'Henri Lacordaire lui ouvrit finalement les
portes de l'Académie française. Sa candidature fut en
effet soutenue par les opposants au régime impérial,
tant les libéraux (Montalembert, Berryer, Barante, Guizot, Falloux, Lamartine…) que les
cléricaux, comme Thiers ou Dupanloup, qui lui
reprochaient cependant pour certains des idées trop
« piémontistes ».
L'année 1839 aura
été décisive dans la vie de LACORDAIRE,
car parallèlement à son Mémoire pour le
rétablissement en France de l'Ordre des
Frères Prêcheurs et à sa prise d'habit
chez les Dominicains (9 avril), il fonde
le 21 juillet au Couvent de La Quercia
avec des pensionnaires de la Villa
Médicis "Prix de Rome" dont le musicien Charles Gounod,
la Confrérie de Saint-Jean. Ainsi
commence-t-il la rédaction de sa
déclaration : « Des artistes français,
touchés du spectacle que présente le
monde, ont désiré contribuer à sa
régénération par l'emploi chrétien de
l'art. »[11],
C'est en l'église Notre-Dame des
Victoires à Paris, que Henri Lacordaire
présidera la messe d'action de grâce
pour le premier anniversaire de la
Confrérie, le 27 décembre 1840.
La Confrérie
devient le lundi 15 avril 1872 la
Société de Saint-Jean pour
l'encouragement de l'art chrétien
bientôt reconnue d'Utilité Publique.
La Société de
Saint-Jean pour le développement de
l'art chrétien marquera l'histoire de
l'art dans l'entre-deux-guerres avec les
Ateliers d'Art Sacré, fondés et dirigés
par Maurice Denis et
George
Desvallières, dont Henri de Maistre prendra la succession, avec pour
aumônier Jacques Debout,
écrivain et lui-même engagé pour le
renouvellement de l'art chrétien dans sa
Revue "Les Cahiers catholiques".
Citations
-
« Entre le fort et le faible,
entre le riche et le pauvre, entre le maître et le
serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi
qui affranchit », 52e Conférence de Notre-Dame, 1848.
-
« La liberté n'est possible
que dans un pays où le droit l'emporte sur les
passions. »
-
« Être libre, c'est se
posséder soi-même. »
-
« Joindre ses mains, c'est
bien mais les ouvrir, c'est mieux. »
-
« Partout où l'homme veut se
vendre, il trouve des acheteurs. »
-
« Tout ce qui s'est fait de
grand dans le monde, s'est fait au cri du devoir ;
tout ce qui s'y est fait de misérable s'est fait au
nom de l'intérêt. »
-
« L'histoire, ce riche trésor
des déshonneurs de l'homme. »
-
« Le peuple juif a été
l'historien, le jurisconsulte, le sage, le poète de
l'humanité », 41e Conférence de Notre-Dame, 1846.
-
« Il faut savoir beaucoup
pardonner quand on gouverne les hommes. »
-
« L'égoïsme consiste à faire
son bonheur du malheur de tous », 50e Conférence de Notre-Dame, 1848.
-
« L'injustice appelle
l'injustice ; la violence engendre la violence. »
-
« Le bonheur est la vocation
de l'homme », 50e Conférence de Notre-Dame, 1848.
Notes
-
↑ Lettre à Charles de Montalembert, 4 octobre
1838.
-
↑ Lettre à Madame Swetchine, 28 novembre 1840.
-
↑
Henri Lacordaire, Frédéric Ozanam, in
Œuvres complètes, t. IX, Poussielgue,
Paris, 1872.
-
↑ Lettre d'Henri Lacordaire à Henri Maret, 21
septembre 1848.
-
↑ Lettre à Charles de Montalembert, 19 janvier
1848.
-
↑
Henri Lacordaire, Testament du Père
Lacordaire, éd. par Charles de Montalembert,
Charles Douniol, Paris, 1870, p. 150.
-
↑
73e Conférence de
Notre-Dame, 1851.
-
↑ Lettre d'Henri Perreyve à Charles de
Montalembert, 22 novembre 1861.
-
↑ Lettre à Charles de Montalembert, 21 décembre
1839.
-
↑ Lettres à Charles de Montalembert, 17 février
1848 et 7 novembre 1848.
-
↑ Déclaration, 21 juillet 1839.
Pour l'étude de la correspondance de
Lacordaire avant 1840, l'outil de base est :
-
Correspondance : répertoire.
Tome I, 1816-1839 ; établi par Guy Bedouelle et
Christoph-Alois Martin, éd. du Cerf, Paris ; éd.
universitaires, Fribourg, 2001. (ISBN
2-204-06926-4) ;
(ISBN
2-8271-0835-6)
Les références suivantes permettent
d'avoir accès en partie à la correspondance de
Lacordaire postérieure à 1840 :
-
Correspondance du R. P.
Lacordaire et de Mme Swetchine, publiée par le Cte de Falloux,
Didier, Paris, 1864.
-
Lacordaire, Montalembert :
Correspondance inédite : 1830-1861 ;
textes réunis, classés et annotés par Louis Le
Guillou ; révision du texte et des notes par André
Duval ; préf. de José Cabanis, éd. du Cerf, Paris,
1989 (ISBN
2-204-02899-1)
Conférences, écrits
religieux et polémiques
La plupart des écrits de Lacordaire
sont présents dans ses œuvres complètes, éditées en
1872, consultables en ligne sur Gallica.
-
Sainte Marie-Madeleine,
éd. du Cerf, Paris, 2005.
(ISBN
2-204-07894-8)
-
Le Testament du P. Lacordaire
publié par le comte de Montalembert,
C. Douniol, Paris, 1870.
-
Œuvres du R. P. Henri-Dominique
Lacordaire, Poussielgue
frères, Paris, 1872. - 9 vol.
Comprend : Vie de saint Dominique. ; II. Conférences de Notre-Dame de Paris. T. I.
Années 1835, 1836, 1843 ; III. Conférences de
Notre-Dame de Paris. T. II.
Années 1844, 1845 ; IV. Conférences de
Notre-Dame de Paris. T. III.
Années 1846, 1848 ; V. Conférences de
Notre-Dame de Paris. T. IV.
Années 1849, 1850 ; VI. Conférences de
Notre-Dame de Paris et Conférences de Toulouse.
T. V.
Années 1851, 1854 ; VII. Œuvres philosophiques et politiques ; VIII. Notices et panégyriques ; IX. Mélanges.
Bibliographie indicative
-
(en)
Peter M. Batts, Henri-Dominique Lacordaire's
re-establishment of the Dominican Order in
nineteenth-century France, E. Mellen, 2004
(ISBN
0-7734-6393-3) ;
-
(en) Peter M. Batts, "Jean-Baptiste Henri Lacordaire."
in New Catholic Encyclopedia, 2003.
-
Guy Bedouelle (dir.), Lacordaire, son pays, ses amis et la liberté des
ordres religieux, éd. du Cerf, Paris, 1991 (ISBN
2-204-04259-5) ;
-
Bernard Bonvin, Lacordaire-Jandel : la restauration de l'Ordre
dominicain en France après la Révolution, écartelée
entre deux visions du monde, éd. du Cerf, Paris,
1989 (ISBN
2-204-04042-8) ;
-
Marie-Odile Munier (dir.),
Lacordaire et quelques autres, religion et politique,
Presses de l'Université des sciences sociales de
Toulouse, Toulouse, 2003
(ISBN
2-909628-88-4).
-
Sources «Wikipedia»
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